Emma Zunz

Des extraits d’une histoire, Emma Zunz, de Jorge Luis Borges.
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Lit
Published

June 9, 2021

Emma laissa tomber la lettre. Le premier sentiment, c’est un éboulement dans l’estomac et un tremblement dans les genoux ; et puis, un sentiment d’une culpabilité aveugle, d’une irréalité, d’un froid, et de la peur ; et puis, une envie que la journée soit déjà passée. Puis elle se rendit compte qu’une telle souhaite n’a pas de sens, la mort de son père était le seule évènement qui s’était produit dans le monde, et il aurait perduré sans fin, pour toujours. Elle releva la feuille de papier et alla dans sa chambre. Subrepticement elle la rangea à la garde dans un tiroir, comme si elle connaissait déjà ce qui viendrait. Il se peut qu’elle ait déjà commencé à envisager ce qui se passerait ensuite ; elle était déjà celle qu’elle deviendrait.

(Des paragraphes omis. Emma prépare son plan de vengeance, une vengeance pour un père qui ne le mérite guère.)

Pendant ce temps, qui est hors du temps, dans le déferlement des sensations fragmentées et horribles, a-t-elle pensé, même pour une seule fois, à la mort qui a inspiré son sacrifice ? A mon avis, elle a réfléchi une fois, et c’était assez pour mettre son but désespéré en danger. Elle pensait (elle ne pouvait pas s’en empêcher) que son père avait fait à sa mère la même chose horrible comme ce qu’était fait à elle en ce moment. Elle y réfléchit avec un étonnement faible et puis, immédiatement, se mit à l’abri dans la vertige. L’homme-un Suédois ou un finlandais, peu importe-ne parle pas l’espagnol; il était un simple instrument pour Emma, tout comme elle pour lui-mais elle était utilisée pour le plaisir et lui, il était pour la justice.

(Des paragraphes omis. Emma exécute son plan de vengeance qui s’agit un viol par un homme différent qu’était identifié, et une meurtre pour une cause différente qu’était présentée.)

L’histoire était incroyable, c’est vrai-mais elle a toutefois convaincu tout le monde, car en substance elle était vraie. Le ton d’Emma Zunz était vrai, sa honte était vraie, sa haine était vraie. L’indignation qui était faite à elle était aussi vraie ; tout ce qu’était faux, c’étaient les circonstances, le temps, et un ou deux noms propres.